LE PLAN PROUST
Historique du
Plan Proust
(publié avec l'amicale autorisation
de M. Serge Larcher)
Le plan Proust est une création de circonstance décidée
en janvier 1944 alors que le Plan Sussex lancé depuis plusieurs mois
et déjà entré dans sa phase opérationnelle. S’agissant d’un plan
complémentaire à ce dernier, les premiers hommes qui vont être
désignés proviennent du surplus d’effectif recruté pour Sussex.
Au début de 1944, l’état-major américain qui s’attend à
d’énormes difficultés après le débarquement, émet le souhait de
renforcer le nombre des équipes de renseignements opérant en France.
Les missions à venir ne sont pas encore définies mais le
débarquement s’annonçant comme une entreprise gigantesque,
l’état-major estime que des besoins ponctuels, non couverts par les
agents Sussex, ne manqueront pas d’apparaître le moment venu.
L’OSS souhaite donc utiliser le surplus d’effectif
Sussex, complété par des nouvelles recrues du BCRA venues d’Afrique
du Nord.
Une note secrète (N° 379D/BCRAL), datée du 11 février
1944, émanant du BCRA-Londres informe le bureau d’Alger de ce
nouveau plan et en définie les grandes lignes.
Note pour le capitaine Landrieux :
« Les autorités américaines sont venues
m’annoncer la création, à côté des plans tripartis Sussex et
Jedburgh, d’un plan Proust destiné à préparer une cinquantaine
d’agents en vue de les envoyer par infiltration ou par parachutage
derrière les lignes allemandes après l’établissement d’une tête de
pont en France.
Ce plan est un plan bipartite franco-américain connu des
britanniques auquel ils ne participent pas. Le colonel Neave de
l’Armée américaine en assume la direction.
D’ores et déjà un télégramme est parti pour Alger afin de signaler
la création de ce nouveau plan et de demander le personnel
nécessaire. Les américains envisagent d’utiliser les agents refusés
aux tests. Ci-joint une première liste de personnel qu’il faudrait
récupérer. Veuillez me préciser où se trouve ce personnel et arrêter
toute affectation à leur arme d’origine des éléments refusés des
différents plans jusqu’à ce qu’ils aient pu être examinés par le
colonel Neave.
Les américains ont mis à notre disposition une maison, des
instructeurs et sont prêts à recevoir des volontaires à partir du
1er mars 1944.
Le plan Proust est un plan de recherche de renseignement.
Signé : chef de bataillon Manuel, chef du BCRAL »
Trois semaines plus tard, une autre note émanant de la
DGSS/BCRAL N° 1834/GA/EM/S/A, daté du 6 mars 1944, toujours signée
du chef de bataillon Manuel et destinée au général d’Astier, délégué
militaire du Comité d’action en France, apporte quelques précisions
supplémentaires.
Objet: Plan Proust :
« Comme suite à votre note D/A4/R du 24 février 1944
relative au plan Proust, j’ai l’honneur de vous rendre compte que
les services spéciaux américains désirent la mise à leur disposition
de 50 volontaires ou plus destinés à être employés à partir du jour
J.
Le plan Proust qui est un dérivé du plan Sussex a pour objet la
formation et l’utilisation ultérieure, sur le secteur des opérations
qui sera éventuellement réservé aux troupes américaines, des
éléments dont la formation intellectuelle n’aura pas permis
l’intégration au plan Sussex.
Le plan Proust dont le but principal est la préparation d’agents de
renseignements, n’écarte pas totalement l’action.
Les candidats reçoivent dans une école installée par l’OSS dans
d’excellentes conditions matérielles, à Horsham (Sussex) un
entrainement progressif et complet… »
En mars 1944 la campagne de recrutement en Afrique du
Nord commencée pour Sussex se poursuit au profit de Proust. Ceux-ci
vont débarquer en Angleterre par petits groupes ou individuellement.
Ainsi le 6 mars, quelques-uns des futurs agents Proust
embarquent à Alger accompagnés des dernières recrues de Sussex.
Ils débarquent à Liverpool le 17 mars, suivent le
circuit traditionnel des nouveaux arrivés en Angleterre en passant
les formalités de sécurité.
La montée en puissance de ce nouveau plan ne va pas
sans difficulté. Des volontaires se « perdent » entre Alger et
Londres, d’autres se voient affectés dès leur arrivée sans rapport
avec Proust.
Certaines recrues sont finalement refusées, n’ayant pas
le niveau souhaité par les responsables du plan.
Proust éprouve de la difficulté à se mettre en place.
En effet Sussex qui est déjà en phase opérationnelle absorbe
l’essentiel des moyens et conserve la priorité pour l’entraînement,
l’équipement et les transports.
Le lieutenant-colonel Booth évoque dans un livre
“Mission Proust – « The story of an unusual OSS undertaking » publié
par Dorrance & Comagny – Philadelphia” son premier contact avec les
Proust alors qu’il vient d’être nommé responsable de leur
instruction.
« Il y avait un problème avec les agents déjà
recrutés pour le Plan Sussex qui s’en voyaient écartés pour cause de
surnombre. Bien qu’il n’y ait pas officiellement d’autres raisons
particulières à leur éloignement de cette mission, ils vivaient
assez mal cette situation à laquelle s’ajoutait l’incertitude
régnante sur leur éventuelle utilisation dans ce nouveau plan.
Incertitude ressentie comme une véritable frustration, provoquant un
grand désarroi parmi les hommes sélectionnés qui pensaient n’être
qu’une création de circonstance, une sorte de « placard » pour
agents Sussex non retenus. Le moral s’en trouvait quelque peu
atteint provoquant quelques problèmes de discipline. »
Des esprits chagrins vont même gloser en affirmant que
c’est l’incertitude qui plane sur l’utilisation des Proust qui est à
l’origine du nom de code de ce plan, car il est la cause de beaucoup
de « temps perdu » (par analogie au livre du célèbre écrivain « A la
recherche du temps perdu »), ce qui est faux bien sûr, le patronyme
ayant été choisi avant l’apparition des problèmes cités par Booth
mais qui laisse imaginer l’ambiance un peu « houleuse » qui marquera
les débuts de Proust (1).
Une reprise en main s’avère nécessaire et ce n’est
qu’après le passage à Ringway pour obtenir le brevet de parachutiste
que le moral s’améliore rapidement.
C’est à la mi-avril que l’entraînement d’une
cinquantaine d’agents sélectionnés va pouvoir commencer.
La formation :
Le déploiement du Plan Sussex en France libère des
instructeurs américains qui désormais peuvent se consacrer à Proust.
Les agents des deux missions vont recevoir la même formation.
Cette dernière se déroule à Drungwick Manor (non de
code Area B), splendide résidence du XIIIème siècle restaurée au
XIXème par son propriétaire Gilbert Miller, célèbre producteur de
théâtre américain. Les officiers instructeurs logent dans le château
où se trouvent également le mess et les divers services
administratifs tandis que les élèves agents logent sous des tentes
installées dans le vaste parc qui sert aussi de terrain
d’entrainement à diverses disciplines telles que le sport, le tir,
le close combat et le maniement des explosifs.
Les rapports hebdomadaires du commandant Dutey adjoint
français du colonel Neave font état de manœuvres avec les services
secrets britanniques et d’exercices divers tels que préparation des
« couvertures » individuelles, cours de radio, conduite de véhicules
divers, étude de l’armement, identification etc.
Au 21 mai l’effectif Proust compte 65 hommes. Le 7 juin
le lieutenant-colonel Booth prend le commandement de l’école de
Freehold, Neave est rappelé à l’O.S.S. de Londres.
Grâce aux notes du commandant Dutey, nous savons que
l’effectif Proust ayant suivi la formation complète n’a jamais
dépassé 65 hommes dans le meilleur des cas.
Tous ne sont pas arrivés au terme de la formation,
certains n’ayant fait qu’un bref passage. A noter également que 14
agents ont été versés au Plan Sussex, c’est le cas notamment de Guy
Mocquet et Lucien Bignon (mission « Daru ») ou encore de Mario
Faivre (mission Velours).
Si l’on ajoute les quelques officiers français de
liaison BCRA/OSS partie prenante de ce Plan, nous avons une idée
précise de l’effectif français pouvant prétendre être passé par le
Plan Proust, soit moins de 80 personnes.
La mise en place des missions se fera essentiellement
par parachutage à l’exception de deux équipes transportées par la
section maritime de l’OSS et déposées par PT boat, et deux autres
équipes déposées par avion.
Les Missions Proust :
La première mission « Girafe » est également la
seule qui aura à déplorer la perte d’un agent, il s’agit de Joseph
Michel Jourden alias Jean-Marie Stur :
Engagé dans le cadre du plan Sussex sous le nom de
Jean-Marie Stur. Intégré au Plan "Proust", mission Girafe, il est
débarqué clandestinement avec Jean-Marie Robleu (de son vrai nom
Robert Reitzer) dans la région de Morlaix, près de la pointe de Beg
an Fry, le 25 Juin 1944 pour transmettre à Londres des informations
collectées sur le terrain sur les forces, les positions,
l’équipement des troupes allemandes susceptibles de s’opposer aux
forces alliées déjà débarquées en Normandie le 6 juin.
«La girafe à la laryngite», telle était la phrase codée
de Radio Londres pour avertir Joseph Michel Jourden qu’un message
lui était adressé. Il réussit à échapper aux gonios allemandes
jusqu’au 9 août 1944. Le chanoine Pérenes dans "Aviateurs alliés et
journées tragiques de la Libération dans quelques localités du
Finistère" (1946) raconte les événements tragiques qui vont
entraîner la mort de J. Jourden (rédigés à partir du témoignage de
Monsieur Ruppe aumônier à Ploujean): "Les troupes américaines
avaient traversé Plouigneau sans coup férir le 8 Août 1944.
Le 9 août, une colonne isolée de deux cents Allemands
avec des canons et d’autres armes déboucha dans le bourg. Les FFI
leur livrèrent bataille mais ils n’étaient pas assez nombreux. Cinq
patriotes Joseph Michel Jourden et 4 personnes (Jean-François Le Coz,
Jean-Yves Ropars, Albert Perrot and X) qui étaient arrivés en
voiture dans le bourg brandissant des drapeaux alliés et la croix de
Lorraine furent arrêtés et fusillés sur la place de l’église. Les
versions officielles française et américaine précisent à propos de
Joseph Michel Jourden : «Pris par un détachement allemand le 9 août,
il fut torturé pendant quatre heures sur la place du village et
malgré d’abominables souffrances, il refusa de parler, faisant
preuve d’un héroïsme peu ordinaire. Ne pouvant parvenir à le
remettre debout, les Allemands l’achevèrent d’une balle dans la tête
».
Une plaque commémorative est visible près du monument
aux morts de Plouigneau.
Le jour même du drame, Robert Reitzer, équipier et ami
de Joseph Jourden, informe sa famille de sa mort et son corps est
transporté chez sa sœur à Morlaix. Devant la porte de la chapelle
ardente se tient un soldat américain en armes. Un détachement de
soldats américains et de FFI accompagnent le char funèbre jusqu’au
cimetière où les honneurs militaires lui sont rendus .Une plaque
commémorative est visible près du monument aux morts de Plouigneau.
Il est fait Chevalier de la légion d’honneur (à titre posthume),
décoré de la Croix de Guerre avec palme et de la médaille de la
Résistance Française. La Distinguished Service Cross (USA) à titre
posthume, cette distinction fut remise le 1er juin 1945 par un
officier américain à son père Joseph Jourden sur la place de la
mairie du Conquet.
La rue principale du Conquet porte son nom par décision
du conseil municipal du 6 juin 1945.
« Midiron » elle, est une des opérations typique
«Proust ».
En liaison avec le maquis, les agents mis en place
devront renseigner la 3ème Armée US sur les déplacements des
Allemands qui reculent en direction de la trouée de Belfort.
Le chef de mission est Jean-Paul Bougier alias Bricard,
alias Bartholdi. La mission est parachutée le 12 juillet 1944 à
Doaudic (Indre). Il s’agit de surveiller et de signaler les convois
ennemis dans les secteurs d’Angoulême, Poitiers, Le Blanc, Limoges,
Château Vieux et Dijon.
Cette mission se compose de plusieurs équipes :
- « Saniette » Jacques Suissa alias Jacques Grenier
alias Saniette parachuté le 12 juillet à Doaudic en même temps que
Bernard Duval alias « Charlus »
-
« Congé » Georges Cordeau alias Courtois parachuté la
nuit du 7 au 8 août. Prends contact avec les maquis dans la région
de Limoges, renseignement à Angoulême et Poitiers.
- « Poil » René Gros alias Bordenave, mission de
renseignement qui débouchera sur un bombardement de l’US Air Force
qui écrase une importante concentration de troupes ennemis. |
Rapport de mission
Saniette
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|
Les agents de « Midiron » transmettent 151
messages à la station Victor (Centrale de l’OSS en Angleterre) où
ils seront analysés et répercutés vers les 7ème et 9ème Armée US.
« Jambon » Jean Deschamps alias Alain Aymard
parachuté le 1er juillet en R6, Haute-Loire. S’installe dans la
Mayenne pour y établir un réseau de renseignements.
« Mirnaloy » Observateur Ablard, parachuté le 10
juillet, travaille dans la région de Baccarat
« Commis / Mayfair » Observateur Bazin, mis en
place par atterrissage pour une mission dans le Nord Est de la
France, recherche de terrains et comité de réception.
« Jument » Observateur Maillet radio Wateau
parachutés le 16 août à 10 km de Montluçon. Matériel détruit à
l’atterrissage obligeant les agents à passer leurs informations par
un autre canal. La Loire ayant été complètement libérée, la mission
rentre sur Paris le 12 septembre. |
Bronze Star Medal
de Michel Wallon
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|
« Bébé » Observateur Bernard Sabouret Garat de
Nedde alias Bernard Lenormand & radio Michel Faivre alias Montigny
parachutés le 30 août à Osne-le-Val (Haute-Marne) pour mission dans
la région de Joinville.
« Chat » Observateur Raymond Marmande
alias Jacques Larcy & radio George Brana alias Georges Bussy,
parachutés le 30 août en même temps que « Bébé » avec mission
identique
« Image » Observateur Robert Dupaix alias Robert
Dugay & radio Ferry, parachutée dans la nuit du 1er au 2 septembre à
10 km au Nord-Ouest de Rambervilliers (avec l’équipe Sussex «
Velours ») mission en liaison avec le maquis de Charmes.
« Marcel » Equipe nombreuse composée de trois
officiers américains : Lt.colonel Booth, Lt. Burk, Lt. Kuzmuk plus
deux officiers français : capitaine André Cornu et Lt Marchadier.
L’équipe ne disposant pas de radio (resté dans l’autre avion) va
mener une activité incessante de renseignement, faisant passer ses
messages par porteur en direction des lignes américaines. Sous
couvert de cette mission, d’autres agents seront parachuté dans la
région de Vesoul au cour des jours suivants. La mission Marcel a
fourni à la 7ème Armée US, la situation exacte des forces allemandes
dans la région de Baccarat.
A la fin de l’été 1944, la tête de pont américaine sur
le continent est jugée suffisamment solide pour que les services
spéciaux alliés mettent fin aux missions Proust et Sussex.
Pour conclure :
Proust aura donc été utilisé après le débarquement en
Normandie, comme réservoir d’agents de renseignements pour des
opérations qui ne pouvaient pas être couvertes par Sussex.
Fin août, le petit nombre d’hommes encore à
l’entraînement à Drungwick Manor est envoyé en France. Ils sont
répartis dans les « field detachment » (SI/OSS) qui accompagnent les
3èmes et 7ème Armée US, pour les aider dans leurs opérations
d’éclairage et de renseignement, ou bien ils sont affectés à la base
OSS de Paris. Néanmoins la plupart rentrent à la DGER qui leur
proposera d’autres missions.
Sussex, Proust, Jedburgh, tous ces personnels prennent
des destinations diverses. La DGER en détache un grand nombre dans
les dix-neuf centres de filtrage des prisonniers et déportés de
France et d’Allemagne (CPAF) pour leur confier des opérations de
contre-espionnage et de filtrage. Tous les rapatriés quelle que soit
leur nationalité, subissent dans ces centres des interrogatoires de
sécurités, les services spéciaux essayant d’obtenir d’eux des
renseignements d’ordres stratégiques, politiques ou bien encore
économiques.
Les Plans Proust et Sussex se sont bien terminés.
D’autres missions de renseignement et de « sécurité militaire »
(Hébé, Nulton, Nicotine etc.) utiliseront ces personnels.
Certains partent en Extrême-Orient ; Commando Conus,
Force 136, Kay2 mais ceci est une autre histoire.
(1)
Pour comprendre tout à fait l’origine de ce singulier patronyme, il
faut préciser qu’il fut donné par le colonel Justin O’Brien de l’OSS,
responsable de la formation Sussex et Proust. Professeur de français
aux Etats-Unis, à l’université de Colombia. Il était reconnu comme
un éminent spécialiste de la littérature française en général et de
celle de Proust en particulier, il avait d’ailleurs effectivement
assuré la traduction de « A la recherche du temps perdu »…
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Liquidation du Plan
Proust
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Liquidation de la mission Hugo
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Quelques agents
ayant participés au Plan Proust ...
Joseph Michel
JOURDEN
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Jacques SUISSA
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