MISSION VIS
Préparation à
la mission
(Récit de
Georges Soulier)
Georges Soulier
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La Silver Star
décernée
à Georges Soulier
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A
l’école du M.I. 6 et de l’O.S.S. de Saint Albans, la constitution
des « binômes ou équipes de deux» fut souvent laissée au choix des
agents. La sympathie et l’estime réciproque, ainsi que l’état
d’avancement des cours et formations, emportaient la décision.
« Pour cette préparation, j’ai été envoyé quelques
jours plus tard « au vert ». C’était l’expression utilisée pour
désigner l’endroit très discret où l’on passait les derniers jours
avant le départ. Il s’agissait d’y mettre au point tous les détails
concernant la mission, et si nécessaire, de se remettre en pleine
forme physique.
Cela se passait dans un manoir perdu dans la nature.
L’endroit s’appelait Grendon. Il était situé à une dizaine de
kilomètres de Northampton. On arrivait à cette maison en traversant
un grand parc très bien entretenu. Elle était dirigée par le
capitaine Alden de l’O.S.S., et tout le personnel était composé de
militaires américains triés sur le volet. Chacun de nous avait sa
chambre luxueusement meublée et il y avait plusieurs salons et
salles à manger. Je me souviens que nous y mangions de manière
royale. Ce n’était plus le régime anglais. Par exemple au petit
déjeuner il y avait des jus de fruit, des petites crêpes épaisses
sucrées, sur lesquelles on mettait du miel liquide, du pain anglais
très blanc avec du beurre de cacahuète, de la confiture, des
corn-flakes, des petites saucisses délicieuses, sans parler bien sûr
du lait, du café, thé ou chocolat, etc. Le tout à volonté. Et des
repas copieux midi et soir.
Le capitaine Alden nous avait expliqué que le nombre de personnes
passant dans cette maison devait rester absolument secret, aussi
bien pour l’état-major que pour l’intendance qui nous ravitaillait.
Aussi les quantités livrées étaient toujours les mêmes, et
évidemment bien supérieures aux besoins.
C’est là que j’ai su que le lieu de ma mission serait
Blois. Ce lieu devait rester secret pour tous, et il était interdit
d’en parler entre camarades pour des raisons évidentes de sécurité.
L’équipe intégrait un chef de mission (l’observateur) et un radio
chargé de la transmission des renseignements et de la réception des
messages de l’O.S.S. à Londres. J’étais le radio. J’ai appris que
mon coéquipier serait Jourdet. Il s’agissait d’un camarade qui avait
suivi le même entraînement et que je connaissais déjà.
On nous a remis un plan détaillé de la ville de Blois.
Nous devions l’étudier très sérieusement pour le connaître par cœur,
et être capable de se diriger sur place sans l’aide de personne,
comme si nous y habitions depuis longtemps. Nous avons dû apprendre
aussi les noms et adresses des principaux commerçants et autres
administrations. Nous avons subi plusieurs examens au cours desquels
on nous demandait des renseignements sur les personnes que nous
étions sensés connaître, ou sur la manière de se rendre d’un endroit
à un autre.
Nous avons appris que le nom de code de notre mission
serait « VIS » et que notre secteur de travail dont Blois serait le
centre, s’étendait de Vendôme au Nord, à Orléans à l’Est, Tours à
l’Ouest et Vierzon au Sud. Des cartes d'état-major très détaillées
de cette zone nous ont été remises. On nous a également demandé de
choisir un nouveau pseudo pour cette mission, et j’ai choisi Georges
Sautel avec des renseignements d’état civil qui m’ont été donnés, et
qui en cas de contrôle étaient invérifiables ; les registres de
l’état civil de l’endroit où l’on était sensé être né, ayant été
détruits ou brûlés pendant la première partie de la guerre.
La fausse
carte d'identité
de Georges
Soulier
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Quelques jours plus tard, on m’a remis une carte d’identité, établie
au nom que j’avais choisi, par le Commissariat de Police de Blois.
J’ai reçu également différents jeux de papiers : carte de
ravitaillement dont j’ai dû apprendre à me servir, carte de travail,
carte de membre des Auberges de Jeunesse, attestation de domicile,
etc.
J’ai également reçu tout le matériel dont je pourrais
avoir besoin au cours de cette mission. Entre autres, deux postes
radio émetteur récepteur Mark 7 dans leurs petites valises en cuir
rouge, l’une des deux étant prévue pour l’asile de secours, un
pistolet automatique Colt 45, et différents gadgets : un stylo lance
gaz de calibre 38 permettant d’aveugler provisoirement en cas de
nécessité un policier un peu trop curieux, une boule phosphorescente
de la taille d’une balle de ping-pong, destinée à être placée près
d’un objet à retrouver rapidement dans la nuit, tel que le pistolet
par exemple ou encore pour faire des signaux nocturnes sur le
terrain de parachutage. Il y avait également une flasque contenant
du Gin ou autre Whisky, une boîte ronde métallique minuscule
contenant des pastilles permettant de résister à la fatigue et au
sommeil, une boussole, un kit médical avec seringue de morphine,
deux grenades anglaises n° 69 « striker » en bakélite, et encore
beaucoup d’autres objets que j’ai oubliés. »
La boule
phosphorescente
et les
cartouches de gaz
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Message radio codé sur
bloc papier
auto-destructible,
utilisé pendant cette
mission
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« Enfin, nous emportions avec nous une pilule de
cyanure à avaler en cas d’arrestation et de tortures, pour éviter de
parler. Habituellement cette pastille était placée dans une
chevalière en or, possédant un chaton mobile. Celui-ci cachait une
petite cavité de la taille de la pastille. Malheureusement pour moi,
il n’y avait plus de chevalière lorsque j’ai reçu cette pastille, et
elles ne sont arrivées qu’après mon départ. De ce fait je ne l’ai
jamais eue ! Je dois dire d’ailleurs qu’à l’époque, c’était le
moindre de mes soucis ! »
Chevalière en or
abritant
une capsule de cyanure
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« Du point de vue financier nous étions à l’aise. Nous
avions reçu pour nos frais une somme de deux cent mille francs (soit
environ 30 500 €), ce qui à l’époque représentait une somme énorme.
A titre de comparaison un directeur d’entreprise devait gagner au
maximum quatre à cinq mille francs par mois (750 € environ),
lorsqu’il était bien payé ! La moitié de cette somme serait mise en
réserve dans notre asile de secours.
Dans les derniers jours précédents notre départ, on nous a fait
choisir des vêtements civils. Ils n’avaient aucune marque, et il
n’aurait donc pas été possible d’en définir la provenance en cas de
contrôle. J’ai reçu également un bracelet montre suisse de très
grande qualité, mais qui était également sans marque.
Nous avons appris qu’une équipe dirigée par un certain
« Pierre », devait nous réceptionner au sol, et nous conduire dans
un asile provisoire où nous serions en sécurité avant notre départ
pour Blois. Ce Pierre devait également nous indiquer le nom de la
personne à contacter pour notre installation dans cette ville.Un
message convenu serait diffusé par la radio de Londres, la célèbre
B.B.C., dans la rubrique « messages personnels » pour informer le
comité d’accueil de notre arrivée. Treize heures trente : Ici
Londres, voici des messages personnels :
… Le
typhon prendra quatre équipages…
Nous disons :
Le typhon prendra
quatre équipages deux fois.
A l’annonce de
ce message répété au bulletin de dix neuf heures trente et à vingt
et une heure trente, Pierre devait prendre toutes les dispositions
nécessaires pour nous recevoir le même soir, et en particulier,
baliser le terrain et en assurer la sécurité avec l’aide de
résistants du secteur.
Le 30 mai 1944, dans la matinée on nous prévient :
c'est pour ce soir ! Dans l’après midi nous nous habillons en civil,
et nous ne gardons que nos armes. Tout le reste de nos vêtements et
de notre matériel est embarqué dans des containeurs qui doivent être
parachutés avec nous. Trois autres équipes partiront en même temps
que « Vis » : « Madeleine » travaillera dans le secteur de St Germain,
« Marbot » à Versailles et « Cure » à Tours. Le soir après le dîner,
nous nous réunissons une dernière fois avec ceux qui restent sur
place, pour boire le verre du départ. On ne boit que du Gin ou du
Whisky, mais en quantité. Aussi sommes-nous bien remontés à la fin
de ce pot.
Après avoir fait nos adieux, nous embarquons vers 22h00 dans des
voitures qui nous emmènent vers le terrain d’Harrington, non loin de
Tempsford, une des bases de la 8è Air Force. Deux « B24 Liberator»
des Carpetbaggers du 801/492 Bombardment Group de l’U.S.A.A.F. nous
attendent. Le « Liberator » est un énorme bombardier quadri moteurs
qui embarque huit hommes d’équipage : pilote, copilote, navigateur,
bombardier, radio, dispatcher, mitrailleur, mécanicien. Il faut
noter que les appareils affectés à ce type de mission étaient peints
en noir mat anti-réfléchissant pour camouflage et protection des
projecteurs de la FLAK.
Nos containers sont déjà chargés. Nous nous équipons
avec plusieurs plaques de mousse, puis nous enfilons la combinaison
camouflée, les sur-bottes en toile et enfin le casque en mousse qui
servira à amortir les chutes trop brutales. Enfin il ne reste qu’à
s’équiper du parachute. Le colonel est venu nous glisser quelques
mots d’encouragement. Nous montons à quatre par appareil dont les
moteurs tournent déjà. Nous nous asseyons à même le sol, car il n’y
a ni siège, ni banquette. L’avion décolle dans la nuit, il fait très
sombre car il n‘y a pas d’autre lumière dans la carlingue qu’une
petite veilleuse. A l’extérieur, tout parait bien noir aussi, bien
que ce soit la pleine lune, comme pour tous les parachutages. A
l’intérieur, l’euphorie du départ a fait place à un silence complet.
Rapidement nous sommes au-dessus de la Manche. Les
mitrailleurs tirent quelques rafales pour vérifier le bon
fonctionnement de leurs armes. J’éprouve une forte appréhension,
provoquée d’abord par le saut à effectuer, appréhension qui est
toujours la même que la première fois, quelque soit le nombre de
sauts déjà effectués, mais surtout pour ce que nous allons trouver
au sol. En effet il est déjà arrivé que les personnes chargées de la
réception aient été arrêtées et remplacées par des agents de la
Gestapo.
Nous volons depuis plus d’une demi-heure, puis tout à coup l’avion
est entouré de lueurs et fortement secoué. Le responsable du vol,
sans plus d’émotion, nous explique que nous arrivons à hauteur des
côtes françaises, et que nous avons à faire à la D.C.A. qui tire sur
nous. Enfin tout redevient calme.
Passe une nouvelle heure sans incident, puis le
dispatcher qui est en contact radio avec le pilote, nous demande de
nous préparer, car nous n’allons pas tarder à arriver. Nous
accrochons tous alors le mousqueton de notre parachute au câble
d’acier qui traverse en longueur l’appareil et nous attendons… Mais
rien ne se passe ! Après avoir effectué plusieurs tours au dessus du
terrain, le dispatcher nous informe que le comité de réception n’a
pas balisé la DZ (dropping zone) ni envoyé le signal convenu. En
conséquence le largage est remis et nous faisons demi-tour, cap sur
l’Angleterre ! Un lâche soulagement remplace alors la peur que j’ai
éprouvée jusque là. Je pense qu’il en est de même pour mes autres
compagnons, car d’un seul coup nous sommes tous plus loquaces.
En passant au-dessus d’une ville le dispatcher prend de
gros paquets entourés de papier kraft et ficelés. Il tranche les
ficelles avec son couteau et balance tous ces paquets encore fermés
par la trappe. Il nous explique que ce sont des tracts
anti-allemands. Les paquets encore ficelés mettent un certain temps
pour s’ouvrir en tombant rapidement, si bien que les tracts ne
s’éparpilleront qu’à faible altitude au-dessus des maisons. Nous
atterrissons à la base vers 3 ou 4 heures du matin.
Après quelques heures de repos, vers la fin de la
matinée, nos officiers américains nous annoncent que nous repartons
le soir même. Comme la veille, nous arrosons ce nouveau départ avant
de rejoindre les avions. Le vol se passe sans incident notoire. A
nouveau le dispatcher nous demande de nous préparer et nouvelle
attente. Encore une fois, rien ne se passe ? Il n’y a toujours pas
de signal au sol et nous rentrons à nouveau en Angleterre.
Le
lendemain, le 1er juin, nous nous faisons brocarder par les
camarades restés sur place. Ils se moquent gentiment de nous, disant
que nous avons eu la frousse de sauter, ou encore que c’était pour
pouvoir boire un nouveau pot de départ et bien d’autres
plaisanteries du même genre. Presque immédiatement, on nous prévient
que nous repartons le même soir. Au nouveau pot d’adieu tout le
monde déclare que finalement il n’est pas désagréable de recommencer
tous les soirs le même cérémonial, et que nous pouvons continuer
comme ça quelques jours encore.
Cette fois encore, nous nous installons dans le même appareil. Nous
commençons à bien connaître la procédure. En arrivant à hauteur des
côtes françaises, nous essuyons comme la première fois un violent
tir de D.C.A., mais l’avion n’est pas touché. Peu avant l’arrivée
sur la DZ, nous apercevons par un hublot, assez loin sur notre
gauche, de grandes lueurs rouges. On nous explique que pour faire
diversion sur notre vol, l’aviation U.S. procède à un bombardement
d’un centre ferroviaire.
Peu après, nouvelle préparation au saut. Le dispatcher
nous signale que cette fois ça y est. Les signaux de reconnaissance
convenus sont exécutés, le comité d’accueil est bien là. La trappe
s’ouvre. Un premier passage pour larguer nos containeurs, puis nous
revenons en bout de terrain. Le cœur battant, je m’assieds au bord
de la trappe. J’apercois la lumière rouge qui s’allume et j’entends
crier à tue-tête « Action station » puis, alors que la lumière passe
au vert, un hurlement : « Go !! ». Ma mission commence !
Je me lance dans le vide. »
Ainsi livrés à leur
destin, chacun des agents « Sussex » participa de façon très active
à renseigner l’état-major allié, se déplaçant avec la ligne de
front, souvent même se repliant avec les troupes allemandes.
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