MISSION VIS
La mission
«Un grand coup
de vent dans la figure, puis une grosse secousse, mon parachute
vient de s’ouvrir. Après le bruit des moteurs, c’est le calme
complet. Il fait beau, la lune est encore quasiment pleine, et je
descends lentement sur ce terrain proche de Rochefort sur Loire. Au
loin j’aperçois les lueurs du bombardement dont je suis en partie et
bien involontairement responsable. Très vite s’approche sous moi un
champ de blé dans lequel je me pose en douceur et sans bruit. Mais
je n’ai pas le temps de rêvasser au clair de lune. Je me débarrasse
rapidement de mon harnais de parachute que je roule rapidement comme
j’ai appris à le faire. Idem pour la combinaison, le casque et les sur-bottes en toile que je camoufle du mieux que je peux. Je rejoins
assez rapidement Jourdet, mon coéquipier qui a sauté derrière moi,
et qui est tombé dans un champ de vigne, juste entre des piquets sur
lesquels il aurait pu s’empaler !
Lieutenant
Vaas alias Jourdet
Cliquer ...
Tout est calme et tranquille autour de nous. A ce moment là, un
homme sort de l’ombre et vient dans notre direction. C’est Pierre
qui est venu nous attendre avec son comité de réception. Il y a
plusieurs hommes, dont un fermier des environs avec une voiture à
cheval, que nous rejoignons.
Ce parachutage voit arriver sur ce terrain nos quatre équipes
Sussex. Nous passons une bonne partie de la nuit à récupérer nos
containers, il y en a deux par équipe, soit huit au total que nous
chargeons dans la voiture. Avec les parachutes, cela fait du volume
! Tous les camarades nous ont progressivement rejoint, sauf un qui
finira tout de même à arriver plus tard. Il nous expliquera être
tombé au milieu de la Loire, sur un banc de gravier ! Heureusement
qu'en cette saison elle était presque à sec.
Nous partons à pied derrière notre voiture à cheval. Pierre nous
apprend que nos deux avions se sont croisés et recroisés plusieurs
fois au-dessus du terrain, l’un le prenant dans le sens de la
longueur, l’autre dans la largeur, au lieu de se suivre, et risquant
chaque fois la collision. Il est vrai que nous volions tous feux
éteints.
Arrivés dans la cour du fermier, nous déchargeons tout notre
matériel que nous entreposons dans l’écurie. Pierre nous prévient
que nous devrons tous être partis avant 6h00 du matin avec toutes
nos affaires ! Il n’y a donc pas d’asile provisoire comme c’était
prévu, ni aucun moyen de transport pour nous et notre matériel.
Pierre nous dit simplement que nous devons nous adresser à M.
Vignon, le Secrétaire Général de la Préfecture de Blois, et lui
donner le mot de passe suivant : « De vifs incidents se sont
produits. » Il devra alors nous répondre : « Le cas est assez
fréquent. »
Après cette dernière précision Pierre quitte la ferme.
La ferme
de Maurice Fleury à Villebaron
Cliquer ...
Le fermier a accepté de nous garder le matériel pour la journée,
pendant que nous irons par le train à Nantes acheter des malles. A
40 km, c’est la ville la plus proche de Forges, le village où nous
sommes, mais il n’y a qu’un train le matin vers 7h00 pour y aller,
et un autre le soir pour en revenir. Comme il est déjà plus de 5h00
du matin, pas question de dormir, alors nous sortons des containers
nos sacs de voyage, dans lesquels nous mettons les quelques objets
dont nous pouvons avoir besoin dans l'immédiat.
Nous nous rendons rapidement compte sur le quai de la gare que tous
nos sacs sont semblables, en toile brune ou bleue avec des poignées
et des renforts de cuir clair ! Bien sur, ces sacs sont alors à la
mode, et on en voit pas mal, mais tout de même, huit sacs tout neufs
en même temps dans cette petite gare… Nous ne sommes pas très fiers
de risquer ainsi de nous faire remarquer. Dieu merci, à la gare, les
gens n’ont pas l’air de faire attention à nous. Peut être aussi ne
veulent-ils pas nous voir. Nous les entendons discuter des vols de
cette nuit, disant que les avions sont encore revenus pour la
troisième nuit consécutive, et qu’il doit certainement se préparer
quelque chose… Enfin le train pour Nantes arrive. Nous y montons, et
c’est là, pendant le trajet, qu’en entendant les conversations
autour de moi, je me rends compte tout à coup que je comprends tout
ce qu’ils disent. Depuis l’Angleterre j’en avais perdu l’habitude.
Nous arrivons sans incident à Nantes. Avec Jourdet, nous nous
promenons dans les rues avec une certaine appréhension lorsque nous
croisons des soldats et officiers allemands alors qu’hier encore,
nous rencontrions des Américains ou des Anglais ! Il me semble que
cela doit se voir sur notre figure que nous arrivons d’Angleterre !
Nous allons déjeuner dans un restaurant, et nous devons payer avec
des tickets d’alimentation. C’est la première fois, et je les donne
en faisant bien attention de ne pas me tromper. Comme ils sont faux,
je suis un peu inquiet et me demande s’ils seront acceptés sans
problème. Mais je suis vite rassuré, en effet la serveuse les
accepte sans même les regarder !
L’après midi, nous achetons notre malle après avoir traîné en ville
pour passer le temps, mais je commence à être crevé, comme Jourdet
d’ailleurs. Ce n’est pas étonnant, c’est quand même la troisième
nuit consécutive que nous ne dormons quasiment pas. Par ailleurs la
tension nerveuse des trois vols et du parachutage n’est pas faite
pour arranger les choses. Je me demande si je ne devrais pas prendre
une des pastilles qui nous ont été données pour lutter contre le
sommeil. Mais je sais qu’après quelques heures de pleine forme, la
fatigue et le sommeil reviendraient de plus belle. Comme nous ne
sommes pas encore arrivés à Blois, je préfère m’abstenir et réserver
ces pastilles pour un cas plus urgent.
A la gare nous reprenons le train pour Forges. Arrivés, le fermier
nous apprend que Pierre est passé et qu’il a emmené nos armes ???
Prétextant qu’il avait de grandes facilités pour circuler, il nous
les fera parvenir à Blois par un certain « Marcel » que nous ne
connaissions pas ! Un mois plus tard, n’ayant toujours pas récupéré
nos Colts, nous les ferons demander par Vignon à ce Marcel. Mais
celui-ci, que nous ne verrons jamais, nous fera répondre que pour le
travail que nous avons à faire, nous n’en aurions pas besoin !?
Nous ne les récupérerons jamais.
Nous passons encore une bonne partie de la nuit à emballer tout le
matériel qu’il est possible de mettre dans la malle. Je regrette de
devoir abandonner nos parachutes en belle soie blanche, mais la
sécurité passe en priorité. D’ailleurs je dois souligner ici que le
fermier à qui nous recommandons de ne pas utiliser ces voilures et
de les détruire, ne tiendra aucun compte de nos conseils ! Résultat,
nous apprendrons bien plus tard que, s’étant fait faire des chemises
avec la soie d'un parachute, il a malheureusement attiré l’attention
sur lui. Après une perquisition de la Gestapo, les autres parachutes
ont été découverts. Après interrogatoire « musclé » il a été fusillé
pour avoir hébergé des terroristes.
Le lendemain matin, le 3 juin, après avoir un peu dormi, nous
quittons définitivement Forges pour Blois. La voie de chemin de fer,
théoriquement directe est coupée, probablement à la suite de
sabotages ou de bombardements. Nous devons effectuer de nombreux
détours. C’est ainsi que nous passons successivement par Nantes, Le
Mans, Château du Loir et Tours. Dans chacune de ces villes, nous
devons changer de train et attendre des correspondances, si bien que
nous n’arrivons à Blois que le 5 juin dans l’après midi.
Là, nous nous rendons directement à la Préfecture, et nous demandons
à voir le Secrétaire Général, Monsieur Vignon. Dans une préfecture
le Secrétaire Général est une personnalité, la deuxième après le
Préfet. Il faut donc faire antichambre avant qu’il nous reçoive.
Enfin, nous sommes introduits dans son bureau, dans lequel se
trouvent déjà deux employés de la Préfecture. Pour nous il n’est pas
question de parler devant eux, mais ils ne semblent pas vouloir
sortir et à la question muette de Vignon qui nous regarde, nous
sortons tout de suite le mot de passe convenu : « M. le Secrétaire
Général, nous sommes venus vous voir, parce que de vifs incidents se
sont produits ». Au lieu de la réponse que nous attendons, il
rétorque « Ah oui, où çà ? ». Très surpris nous hésitons quelques
instants. Sur nos gardes, nous commençons à nous demander si nous
sommes bien devant la bonne personne. Notre hésitation doit lui
donner à réfléchir, et lui rafraîchir la mémoire, car il se reprend
et nous déclare enfin la phrase que nous attendions : « Le cas est
assez fréquent ». Je respire mieux. Il demande à ses employés de
nous laisser seuls.
Lorsqu’ils sont sortis, il s’excuse et nous dit qu’il nous attend
depuis plusieurs jours, et que le mot de passe lui était sorti de la
tête. Il nous demande des nouvelles de notre voyage, puis nous
annonce que nous allons être logés chez sa secrétaire, Mademoiselle
Hélène Jourdain, qui vit avec sa mère dans un
appartement au plein centre de Blois, juste en face du pont. Il nous
y conduit, et nous demande d’éviter de sortir et de nous montrer. Il
nous explique qu’il est très bien placé pour avoir tous les
renseignements que nous pouvons désirer, et qu’il n’y a qu’à les lui
demander. Je lui signale que pour des raisons de sécurité, il est
absolument indispensable de prévoir le plus rapidement possible un
asile de secours. Il promet de s’en occuper.
La pièce dans laquelle nous allons vivre est située au dernier étage
de l’immeuble, et elle est mansardée. Comme elle est très petite, je
prévois des difficultés pour mes liaisons radios. En effet,
l’antenne de mon Mark 7 doit être suffisamment longue pour émettre
et recevoir dans de bonnes conditions. Le soir même je tente un
contact avec notre station de Londres, mais sans résultat.
Le lendemain, c’est le 6 juin, jour du débarquement allié en
Normandie. J’essaye à nouveau d’avoir un contact radio à différentes
heures de la journée tout en modifiant la position de mon antenne.
Finalement, en pleine nuit, j’arrive à avoir le contact ! Je suis
soulagé. Ce n’est pas parfait, mais suffisant pour se comprendre. Je
signale que nous sommes bien arrivés et que nous sommes prêts à
travailler. En retour je reçois un message nous félicitant pour
notre installation et nous demandant de signaler tout mouvement de
troupes, susceptibles de remonter du Sud de la Loire vers le front
de Normandie en passant par le pont de Blois, qui est un des rares
encore intact sur la Loire : en quelques sorte, un point de passage
obligé. Ils me demandent de signaler également les convois
ferroviaires militaires passant par cette ville et se dirigeant vers
la Normandie.
En ce qui concerne ce fameux pont nous ne pouvons être mieux placés.
Notre fenêtre donne directement sur l'édifice, par conséquent nous
pouvons observer dans des conditions optimales tous les mouvements
de troupes et de véhicules militaires, et les signaler immédiatement
par radio. Pour ce qui est de la voie ferrée, Vignon nous signale
que le chef de gare de Blois est un de ses amis, qu’il connaît ses
sentiments patriotiques, et qu’il acceptera de nous fournir tous les
renseignements en sa possession, sur les convois de troupes et de
matériels signalés. Effectivement, dès les jours suivants, je peux
passer par radio de nombreuses informations concernant ces
déplacements.
A la sortie de Blois, en direction de la Normandie, existe un pont de
chemin de fer qui a déjà été bombardé, mais qui a été remis en état
provisoire, car il est indispensable au passage des renforts. Dès
que je suis avisé de l’arrivée d’un convoi, je le signale à Londres
qui envoie à nouveau la R.A.F. bombarder cet ouvrage névralgique, et
les transports de troupes et de blindés sont ainsi régulièrement
harcelés et détruits. De plus, à la suite de chaque opération, les
autorités civiles se rendent sur place pour constater les dégâts.
Pour la Préfecture c’est le Secrétaire Général, notre ami Vignon,
qui se déplace. Ainsi il peut me faire un compte-rendu précis des
dégâts que je transmets immédiatement par radio.
La vie clandestine se passe jusque-là pour le mieux. Notre tâche est
fréquemment entrecoupée par les alertes aériennes : au début nous
descendons à la cave ou dans les abris, mais très rapidement, voyant
qu’il ne se passe pas grand-chose, nous restons dans notre chambre.
J’ai en effet beaucoup de travail avec le codage et le décodage des
nombreux messages, qui eux-mêmes génèrent un gros « trafic » radio.
Compte tenu du nombre de messages, les émissions deviennent de plus
en plus longues et commencent à constituer un risque important.
Mon coéquipier Jourdet, d’origine alsacienne, comprend très bien
l’allemand. Dans la journée, il fréquente tous les endroits où
peuvent se trouver des soldats, espérant par ce biais glaner des
renseignements intéressants.
Un matin vers 10h00, après une alerte au cours de laquelle nous
sommes restés comme d’habitude dans notre chambre, la sirène sonne
la fin. Machinalement je regarde par la fenêtre, lorsque de l’autre
côté de la Loire, exactement dans l’axe du pont, je vois arriver
deux avions, l’un derrière l’autre, et se dirigeant droit sur nous.
Deux « P47 Thunderbolt » américains. Je m’étonne qu’ils soient
encore là : normalement la fin d’alerte ne retentit que lorsqu’il
n’y a plus d’avion dans les environs.
Je les observe avec attention, lorsque tout à coup, alors qu’ils
arrivent à hauteur du pont, j’aperçois deux bombes qui se détachent
de l’un d’eux. L’effet est saisissant et j’en ai le souffle coupé,
car en une fraction de seconde, je me rends compte que ces bombes
vont nous tomber dessus. Nous nous précipitons dans l’escalier pour
essayer de rejoindre la cave, mais nous n’en avons pas le temps. Un
bruit épouvantable, et nous sommes entourés de poussière et de
gravats. Instinctivement je me réfugie sous l’évier d’une cuisine.
Me recroquevillant au maximum, je n’en mène pas large.
Après quelques minutes, tout redevient calme. Je sors de mon trou le
cœur encore battant. Nous nous rendons compte alors que l’une des
deux bombes est tombée juste devant la maison, endommageant la
façade et provoquant de gros dégâts à l’intérieur. Mais nous l’avons
échappé belle ! Il n’y a pas de blessé, mais la maison est
maintenant inhabitable. Nous partons donc immédiatement avec tout
notre matériel dans l’asile de secours que Vignon nous a procuré,
depuis quelques temps déjà, situé à la Chapelle-Vendômoise, à 12 km
de Blois, sur la route de Vendôme.
Il s’agit d’une ferme isolée, à l’extérieur du village. Le fermier,
M. Ouzilleau, est veuf, et vit avec sa fille de onze ans. C’est un
homme pas très grand, rondouillet et très sympathique. Il est
surtout doué d’une force herculéenne. Je n’ai jamais revu quelqu’un
d’aussi fort. Je me souviens qu’il me faisait asseoir sur une
chaise, prenait celle-ci avec une seule main par le barreau rond,
reliant les deux pieds sur le côté, et arrivait à me soulever le
bras tendu !
Monsieur
Ouzilleau et sa fille
en septembre 1944
Cliquer ...
Il nous racontait que son grand plaisir était d’aller se promener
sur les quais de la Loire à Blois, pour y repérer à la nuit tombée
les voitures allemandes non gardées. Il dévissait les boulons d’une
roue, soulevant ensuite la voiture d’une seule main, et de l’autre
enlevait la roue qu’il balançait dans la Loire !
Nous nous installons dans cette ferme. Grâce à la disposition des
lieux, je peux installer une antenne extérieure qui me permet
d’avoir des contacts radios aussi bons que possible. Jourdet, qui a
besoin d'être à Blois-même pour la pêche aux renseignements, me
quitte pour aller s’installer chez M. Martel qui y réside. Yvon
Martel est l’Ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées du
département, que Vignon nous a fait connaître. De par ses fonctions,
il possède un « Ausweis » qui lui permet de circuler librement.
C’est d’ailleurs lui qui nous a conduit de Blois à la
Chapelle-Vendômoise avec tout notre matériel.
Malheureusement l’activité de Vignon en faveur de la Résistance
commence à le faire remarquer, et à le rendre suspect. Aussi
décide-t-il de quitter les lieux avant d’être arrêté, et rejoint la
clandestinité à Paris. Ce départ ne nous gêne pas de trop dans notre
travail, car notre réseau d’informateurs est maintenant bien
organisé. Outre le chef de gare, qui continue à nous communiquer
tous les renseignements susceptibles de nous intéresser, l’Ingénieur
en Chef déjà cité nous fournit entre autres des détails en or sur
les rampes de lancement de V1 et plus tard de V2. Il se charge par
ailleurs de tous les transports dont nous avons besoin. En dehors de
ces deux informateurs très importants, nous avons aussi le
Commissaire de Police de Blois qui s’est mis à notre disposition, et
Maurice Fleury, un employé de la Préfecture à peu près de mon âge,
nous sert d’agent de liaison et de renseignements.
Maurice
Fleury
Cliquer ...
Installé à Blois,Jourdet prend tous ses repas au restaurant. Un soir
il a une altercation avec le chef de la milice dont il avait attiré
l’attention. Le Commissaire de Police le prévient qu’il a reçu des
ordres pour procéder à son arrestation le lendemain matin. Il faut
donc qu’il parte au plus vite. Il vient immédiatement me voir à la
Chapelle-Vendômoise, me raconte en deux mots ce qui vient de se
passer, et me prévient qu’il va se réfugier chez une parente dont il
me donne l’adresse à Roanne. Il repart aussitôt. Le même soir, lors
de mon émission radio avec Londres, je signale cet incident et ce
départ. Je propose alors de continuer seul cette mission, puisque
avec mon réseau d’informateurs, je suis apte à répondre à tous les
renseignements qui pourront m’être demandés. Londres est bien sûr
d’accord et me remercie chaleureusement, en insistant sur le fait
que je ne dois prendre aucun risque inutile.
Je poursuis donc la mission. Les informations m’arrivent de plus en
plus nombreuses, et la longueur de mes émissions radio leur est
proportionelle. Tout ceci est contraire aux règles élémentaires de
sécurité, mais comment faire autrement ? Bien sûr je finis par me
faire repérer par la goniométrie allemande. A ce stade je dois
expliquer comment ce repérage s’opère, ou plus exactement comment il
s’opérait à cette époque.
C’était ce qu’on appelait le système de repérage par triangulation.
Nous avions eu des cours à Saint Albans : il existait en France
trois centres principaux de radiogoniométrie. Lorsque qu’un émetteur
clandestin était repéré, les trois centres situés en des lieux
opposés, orientaient leurs antennes sur cet émetteur, et obtenaient
ainsi trois lignes qui se recoupaient, formant un triangle qui
couvrait une zone plus ou moins étendue. Un avion était envoyé
au-dessus de cette zone pour permettre de resserrer le périmètre des
recherches. Cet avion était facilement repérable, hérissé d’antennes
et volant à basse altitude. Lorsque la zone d’émission était bien
délimitée, c’était au tour d’une camionnette d’entrer en jeu. Elle
était repérable pour un observateur attentif, car toute sa cellule
était en bois pour faciliter la réception et éliminer les
interférences parasites. A l’intérieur, bien camouflé, se tenait un
spécialiste qui, le casque sur l’oreille, en suivant l’émission
arrivait jusque devant la maison où se trouvait l’émetteur. Ce
véhicule était en général banalisé sous l’enseigne d’un grand
magasin. Arrivé à proximité du poste clandestin, la camionnette
devait rouler très lentement, et pour ne pas attirer l’attention,
ses occupants faisaient semblant d’être en panne et la poussaient.
C’était la dernière phase des recherches. Lorsqu’on en était là, tu
avais intérêt à ne pas les attendre. Malheureusement, beaucoup trop
d’agents se sont fait prendre de cette façon, trop pris par le
travail et ne les voyant pas arriver.
J’ai eu l’occasion de le dire plus haut, dans la ferme vivait une
petite fille de onze ans. C’était l’été, et elle était en vacances.
Son père, M. Ouzilleau, lui avait dit de ne jamais parler de moi à
quiconque à l’extérieur. Elle avait très bien compris que c’était
très important. Elle était très gentille, un peu sauvage, et jouait
presque toujours toute seule dehors, et devant la ferme. Lors de mes
émissions, je lui demandais de bien surveiller les alentours et de
me signaler immédiatement tout ce qui pourrait se passer et en
particulier les véhicules qu’elle pourrait voir, d’aussi loin que
possible. Il faut dire qu’à l’époque la circulation n’était pas ce
qu’elle est devenue, et les voitures étaient rares, surtout à la
campagne. Un après midi, j’étais en train d’émettre un message
particulièrement long, lorsqu’elle rentre en courant, pour me dire
qu’il y a une voiture roulant à faible allure, mais encore assez
loin sur la route. Je vais à la fenêtre et je reconnais
effectivement une camionnette de détection que deux hommes sont en
train de pousser ; visiblement dans la dernière phase de leurs
recherches. Je fais rapidement disparaître tout le matériel et toute
trace de ma présence. Pour plus de sécurité, je sors par l’arrière
de la maison et vais me cacher dans un champ de blé à
proximité. Lorsque tout danger me semble écarté, je reviens à la
ferme où personne n’a été inquiété. Cette fois j’y ai échappé de
peu, et c’est bien à la petite que je dois la vie sauve.
Bien sûr, il n’est plus question de continuer à travailler ici.
Comme toujours, dès mon arrivée dans ce secteur, je m'étais mis à la
recherche d’un asile de secours. C’est Martel qui me l’avait trouvé,
chez un de ces amis à Onzain, 15 km au sud-ouest de Blois, au bord
de la Loire. Dès mon retour à la ferme, je fais prévenir Martel pour
qu’il vienne me chercher et m’emmène à Onzain, ce qu’il fait dès le
lendemain matin. Au cours du trajet, il me prévient que M. Sibenaler
tient une scierie assez importante et que c’est lui, en particulier,
qui fournit le bois pour la réparation provisoire des ponts détruits
par les bombardements ou les sabotages. A ce titre il a souvent la
visite d’officiers allemands, mais je ne dois pas m’en inquiéter,
car il est tout à fait sûr. Il me présente à son ami, puis retourne
à son travail.
M. Sibenaler me reçoit très gentiment, et me fait asseoir sous une
tonnelle qu’il a aménagée dans son jardin, puis me sert un bon vin
d’Anjou. J’ai posé ma valise-radio ainsi que la batterie de secours
par terre, à côté de moi. Nous sommes en train de discuter,
lorsqu’un Major allemand arrive. M. Sibenaler me rassure tout de
suite, c’est un de ses clients. Il jette rapidement un sac de toile
sur mon matériel, me présente comme un ami, et invite l’officier à
s’asseoir à côté de moi. Je ne suis pas rassuré du tout, mais
finalement tout se passe bien. Nous trinquons ensemble, puis il part
après avoir réglé ses problèmes avec mon hôte. Il s’agit dans le cas
présent de la fourniture de bois pour le renforcement du pont de
chemin de fer de Blois, justement celui que j’ai déjà fait
bombarder. Je respire tout de même mieux après son départ.
Je m'occupe alors d’un nouvel asile de secours. M. Sibenaler me
signale qu’il possède un cabanon de pêche de l’autre côté de la
Loire, au bord du Beuvon, petit affluent de la Loire, à une dizaine
de km de Onzain, près du hameau des « Montils ». Il a une barque qui
pourra me permettre de traverser le fleuve, et il placera de l’autre
côté de la rive un vélo, afin que je puisse rejoindre ce cabanon.
Je recommence à travailler de plus belle, Maurice Fleury continuant
à m’apporter d’importantes informations. Ainsi aperçoit-il un gros
rassemblement de camions militaires allemands sur un terrain, dont
il m’a donné les coordonnées, à proximité de la maison de ses
parents. Je passe l’information immédiatement à Londres. Le soir
même, trois bombardiers de l’U.S. Air Force font un passage, mais
les bombes manquent leurs cibles et tombent à proximité de la maison
de Maurice, sans toutefois causer de dégât au camion ni à la maison.
Dans la même période Martel lui demande de me signaler la présence
d’un très important convoi d’au moins vingt-cinq « Panzer » et
autant de véhicules d’accompagnement. Ils remontent vers le front
normand et semble faire une pause. Là encore j’informe Londres.
Cette fois les bombardiers en piqué ne loupent pas leurs cibles, et
le lendemain, nous pouvons voir de nombreuses carcasses de chars en
train de se consumer. Tout se passe pour le mieux les deux premières
semaines, mais un jour, alors que je viens de terminer une émission,
je perçois un bruit d’avion que mon casque d’écoute m’empêchait
d’entendre. Je regarde le ciel et je vois un avion de détection
cerclant au-dessus de Onzain. Inutile de me faire un dessin ! Cette
fois, je n’attends pas l’arrivée de la camionnette. Je traverse la
Loire en barque, enfourche le vélo, et rejoins le cabanon dans
lequel je m’installe. Je me rends immédiatement compte que cet asile
ne peut être que très provisoire, car je suis éloigné de tout et les
contacts avec mes agents de liaison sont forcément plus compliqués.
Aussi, lorsque Maurice Fleury me propose de venir m’installer chez
lui, j’accepte avec plaisir, tout en gardant le cabanon comme asile
de secours, puisque je n’y ai pas été repéré.
Avant mon départ je suis le témoin d’un combat aérien qui se déroule
juste au-dessus de moi entre un avion américain « Lightning » et un
« Focke Wulf » allemand. Je me demande ce que font dans ce coin ces
deux avions qui sont seuls, mais c’est très impressionnant. Les deux
chasseurs se tirent mutuellement l’un sur l’autre en faisant des
piqués, chandelles et toutes les acrobaties possibles. Les balles
sifflent autour de moi ! Je regarde ce combat en me cachant derrière
un arbre, et je tourne autour du tronc pour me protéger, sans rien
perdre de ce spectacle qui est sensationnel ! Finalement, les deux
avions se séparent, sans s’être apparemment atteints, et
disparaissent.
Je m’installe chez Maurice qui vit chez ses parents à Villebarou, un
lieu dit près de Blois. J’y continue mon boulot. Mais nous sommes
maintenant en août et les troupes américaines se rapprochent. Je
reçois un message qui me demande de prendre contact dès l’arrivée
des premiers éléments de l’armée américaine à Blois, avec un certain
« Captain Beau » du G2 U. S., c'est-à-dire les services du
renseignement militaire qui sont informés de ma présence à Blois.
Le lendemain, Blois est libéré… C’est la joie !
Août 1944
- Quelques membres
de la mission VIS
posent pour la
postérité à la
Libération de Blois
Cliquer ...
Je trouve assez rapidement le capitaine Beau auquel je me présente.
Il me demande s’il me serait possible d’installer des équipes
pouvant continuer à fournir des renseignements, après mon départ,
sur ce qui se passe de l’autre côté de la Loire entre Blois et
Tours, où les Allemands se sont repliés. Je lui promets de faire le
nécessaire. Aidé de Martel et de Fleury, je prends contact avec les
F.F.I. de Blois, Onzain, Amboise et Tours. Des équipes sont envoyées
et continueront à traverser régulièrement la Loire. Les
renseignements sont collectés par Fleury qui les transmet
directement au G2 et au capitaine Beau, à qui je le présente.
Quelques jours après la libération du secteur, j’ai le plaisir de
voir arriver en jeep le Captain Saint Clair venu me récupérer. Il
est accompagné d’un camarade qui était avec moi à Saint Albans :
Olivier, en réalité Jacques Coulon. Natif de la région, il a demandé
à Saint Clair s’il pouvait être de l’expédition pour essayer de
revoir ses parents qui habitaient à Amboise.
Ensemble, avec Martel, Fleury et Sibenaler, nous faisons un repas
mémorable dans un restaurant à Onzain pour arroser la libération, et
surtout nos retrouvailles.
Puis il est l’heure de quitter cette région. Avec Saint Clair et
Coulon nous partons en jeep pour rejoindre Paris, libérée quelques
jours plus tôt. Au cours de ce voyage, Saint Clair me félicite pour
le travail que j’ai accompli. Il me signale que les autorités
alliées ont été particulièrement satisfaites des informations que je
leur ai communiquées. J’en suis très heureux.
C’est durant ce voyage retour que j’apprends l’arrestation de
nombreux camarades, et notamment celle des équipes « Colère », «
Salaud » et « Filan ». Arrestations qui ont eu lieu à Vendôme, non
loin de mon propre secteur d’activité.
Sur la route, nous doublons des convois militaires et dans chaque
localité, les gens se pressent sur les trottoirs pour nous voir
passer et nous applaudir. Dans une localité où nous nous arrêtons un
instant, un homme déjà âgé, nous supplie de venir chez lui, boire le
verre de la victoire en sa compagnie. Il nous sert une vieille
bouteille de vin blanc qu’il gardait précieusement, depuis je ne
sais combien d’années. Il l’ouvre religieusement et nous sert, mais
le vin est tellement vieux qu’il coule comme un sirop épais, et il
n'est pas bon du tout… Mais cet homme a l’air tellement heureux de
nous le servir que nous nous forçons tout de même à l’avaler.
Nous arrivons à Paris le 1er septembre. »
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