MISSION VITRAIL
La mission « Vitrail », elle aussi, se termina de façon dramatique. Parachutés dans la nuit du 10 au 11 avril 44, Jacques Voyer (observateur) et André Guillebaud (radio), avaient, comme zone de travail, la région de Chartres. Ils reçurent également deux parachutages d’hommes et de matériel. En termes de résultats cette mission fut couronnée de succès, car grand nombre de renseignements de la plus haute importance, entre autres des messages concernant les déplacements de la division Panzer « Lehr », purent être adressés à Londres.
A l’occasion d’une observation de mouvements de troupes, André Guillebaud remarque des « totems » ou insignes d’unités inconnues peints sur des véhicules. Il en fait des croquis rapides, et les donne à Jacques Voyer, dans l'espoir que ce dernier puisse les identifier. Le 10 juin, alors que Voyer s’approche du convoi pour en savoir plus, il est interpellé par deux Feldgendarm qui lui demandent de montrer ses papiers. Les croquis en question, qui étaient dans son portefeuille, tombent entre les mains des Allemands. Devant ce dilemne, Voyer tente de s’échapper mais, touché de deux balles tirées par les policiers, il est emprisonné.
Torturé pendant plus de huit jours, il ne parle pas. Traduit le 26 juin devant un tribunal militaire allemand, il est condamné à mort pour espionnage. On le fusille le lendemain même, au champ de tir de Chavannes, tout près de Chartres. Le 20 janvier 1946, le Général De Gaulle le nommera Compagnon de la Libération à titre posthume. Quantité d’agents de ce plan furent déportés, fusillés ou portés disparus. Aujourd’hui encore, il est très difficile d’en estimer le nombre. André Guillebaud, quant à lui, échappera heureusement aux recherches et pourra continuer une nouvelle mission Sussex dans le Nord de la France.
Une division d'élite: la Panzer Lehr
« Publier avec l’aimable et amicale autorisation de Daisy Vincent. »
En 1934, Charles de Gaulle publie Vers l'armée de métier, un ouvrage de statégie militaire qui préconise l'utilisation prépondérante de divisions blindées autonomes et mobiles, des soldats professionnels et non appelés, et du support de l'aviation. Malheureusement pour de Gaulle, si le livre fait parler de lui à l'étranger et rejoint au moins en partie les principes des chefs militaires allemands ou anglais, le gouvernement français, lui, grince des dents. Six ans plus tard, les divisions blindées allemandes et leur couverture aérienne percent les lignes de défénse françaises. Malgré plusieurs victoires des blindés du colonel de Gaulle, l'échec du haut commandement militaire français est sans appel. On connaît la suite.
Quatre ans plus tard, alors que les Alliés s'appêtent à débarquer sur les plages normandes, l'arme blindée est toujours au centre des campagnes terrestres et la localisation des divisions Panzer est l'une des priorités de la recherche de renseignements. Au cours du mois de mai, les messages émanant de l'équipe Susses VITRAIL, basée à Chartres, fait des remous chez l'état-major SHAEF du général Eisenhower: la division Panzer Lehr, dont on ignorait les coordonées, est en train de se regrouper dans les bois autour de Nogen-le-Rotrou.
Insigne "Totem" de la Certes moins connue que les fanatiques et sanguinaires divisions Panzer des Waffen-SS, la division Panzer Lehr est la division modèle de la Wehrmacht, et la fierté du Generaloberst Heinz Guderian: elle possède les meilleurs véhicules, les meilleurs équipements, et est composée des unités les plus expérimentées. Créée à la fin des l'année 1943 et commandée par le Generalleutnant Fritz Bayerlein - un vétéran de la campagne de France, de l'Afrika Korps, et des batailles du front de l'Est - la Panzer Lehr est engagée dans la campagne hongroise de mars 1944, au cours de laquelle Bayerlein profite de terminer l'entraînement et l'organisation de la division. Lorsqu'elle arrive à Nogent-le-Rotrou en mai 1944, elle possède environ trois fois la force de frappe d'une unité blindée normale et n'a qu'une mission: rejeter toute tentative de débarquement allié à la mer. Une action de cette division pourrait être fatale aux troupes alliées, qui lancent un bombardement sur ses positions les 2 et 3 juin 1944.
Mais malgré plusieurs signes avant-coureurs d'une invasion et les demandes incessantes de Bayerlein qui souhaite récupérer au plus vite les éléments éparpillés de sa division, la Panzer Lehr est retenue en réserve avec la 21. Panzer et la 12. SS Panzer "Hitlerjugend". Ce n'est que dans la nuit du 5 au 6 juin que le téléphone de Bayerlein sonne pour lui annoncer que des parachutistes ennemis ont commencé à atterir. La Panzer Lehr est alors encore à 150 kilomètres des plages...
Pratiquement décimée par les bombardements de l'opération COBRA, elle donnera toutefois du fil à retordre aux armées alliées tout au long de la campagne de Normandie, dans les Ardennes et jusque dans la dernière poche du Reich, lors des combats de la Ruhr.
Sources :
SOUVENEZ-VOUS :
COMMÉMORATION 1er MAI 2019 : Lèves, mercredi 1er mai 2019 commémoration au champ de tir de Chavannes à la mémoire de Jacques Voyer et des fusillés de Chavannes (Eure-Et-Loir).
Daisy Vincent petite nièce de Jacques Voyer présente à la cérémonie d’inauguration du totem dédié à son grand-oncle a rédigée et lu le texte ci-dessous : Champ de Tir de Chavannes, Lèves 1er mai 2019 Parler aujourd’hui, je n’y tenais pas. Tout n’a-t-il pas été dit ? Et puis j’ai repensé à un texte de mon amie Stéphanie Trouillard, tiré de son ouvrage « Mon oncle de l’ombre » qui retrace son enquête sur son grand-oncle André, jeune maquisard breton fusillé à Plumelec en juillet 1944. En voici un extrait : « En décidant un beau jour de me pencher sur l’histoire de ce grand-oncle inconnu et oublié, je ne pensais pas que j’ouvrirai un puits sans fond. Un voyage dans la mémoire, douloureux mais essentiel. En soufflant sur la poussière tombée sur ce passé, je n’imaginais pas partir à la découverte de toute ma famille. En réveillant les morts, j’ai bousculé les vivants. […] Derrière les non-dits se terraient des plaies encore vives et des souvenirs qui ne demandaient qu’à se faire entendre. » Si simplement, ses mots résumaient ce que nous vivions depuis ce jour d’août 2017 où notre grand-mère Jeannette s’en était allée. Tout comme Stéphanie, je n’imaginais pas ce qui nous attendait. Lorsque les valises contenant l’amas de vieux papiers, photographies et objets pêle-mêle avait été mentionné, c’est d’abord ma marotte d’historienne qui avait tendu l’oreille. Je savais qu’une partie de ce qu’elles recelaient concernaient Jacques, le frère de Jeannette. Je savais que c’était important, mais je ne comprenais pas encore la profondeur du traumatisme qui s’y cachait. Jacques Voyer à ce moment précis, je ne le connaissais pratiquement pas. Il avait été mentionné une ou deux fois au détour d’une conversation familiale. Son portrait en béret de chasseur avait longtemps jauni sur une commode de la maison de Toulon mais les volets clos de l’été provençal le voilaient dans la pénombre de nos siestes. On en parlait peu. Un interdit qui s’était doucement installé au fil des années, coulant sur les blessures et les souvenirs et noyant la détresse dans le silence. Fin octobre 1944. Jeannette a 14 ans lorsqu’une lettre de Londres arrive aux Postes de Tunis où son père est contrôleur. Une lettre de condoléances d’une amie proche de son frère, alors qu’ils étaient sans nouvelles depuis avril. Il est difficile d’imaginer l’ouverture de cette enveloppe, la catastrophe révélée par ces lignes. Griffonné directement au dos de celle-ci, le brouillon du télégramme que mon arrière-grand-père expédie sur le champ au consul de France en Angleterre, demandant des nouvelles de son fils. Il sait que ses missions sont des plus dangereuses. Comment a-t-il vécu cette journée ? Comment est-il rentré chez lui pour l’annoncer à son épouse ? A sa fille qui adore son grand frère ? Comment ont-ils vécu l’attente accablante de la confirmation, qui n’arrive que peu de temps avant Noël ? 73 ans plus tard, à la veille des fêtes, c’est avec émotion que nous redécouvrons ce patrimoine effroyable, ces souvenirs bouleversants. Au cours de l’année qui suit, les kilomètres en train s’accumulent et les montagnes de livres nous envahissent. Jamais je ne me suis sentie aussi proche de mes cousins, qui se lancent tous avec moi sur les pas de Jacques. Peu à peu, il sort de derrière ses décorations et ses honneurs pour redevenir le grand frère, le fils, le bachelier espiègle qui avait cousu des grelots dans l’ourlet de son pantalon pour agacer son professeur. Petit à petit, nous apprenons à le connaître. Grâce aux archives nationales ou personnelles, aux livres, photographies, aux familles que nous retrouvons, nous reconstruisons sa France Libre à lui. Nous sourions à sa manie de coller les timbres du maréchal la tête en bas. Lorsqu’il se plaint, avec humour, du puzzle indéchiffrable que sont les lettres de ses parents, écrites dans tous les sens et sur le moindre centimètre de papier, nous partageons ses sentiments. Nous découvrons aussi notre grand-mère petite fille, qui donne à son frère des nouvelles du chat, ou lui envoie un plan de leur appartement à Tunis, perle rare dans un quartier bombardé. Car il ne s’agit pas que de l’histoire de Jacques mais bien de celle de toute une famille, séparée et pourtant unie. Mais il faut aussi renouer avec les pages sombres, ces journées de juin 1944 qui s’achèvent en tragédie. Ce chapitre eurélien que j’évite autant que possible : nous venons à peine de retrouver Jacques, je n’ai pas envie de le voir disparaître à nouveau. Malgré tout, j’arpente les rues de Chartres pour retracer son arrestation et sa fuite. Je me force à traduire son dossier du tribunal militaire allemand, sa mise à mort, dans toute sa froideur insoutenable. Je viens ici, à Lèves, où tout a basculé. Les couvercles commencent à sauter, et le sol se dérobe sous nos pieds. En réalité, alors qu’elle est décédée en 2017, nous n’avons pas bien connu notre grand-mère. En 1994, elle commençait à sombrer, je n’avais que 10 ans. Gamins que nous étions, nous n’avions pas su que ce naufrage auquel nous assisterons, impuissants pendant deux décennies, était au moins en partie lié au vide béant laissé par Jacques. Une commémoration, une rencontre avec des agents du réseau, cinquante ans de non-dits, de plaies mal suturées. Le sachant ou non, nous avions tous grandi avec les conséquences de cette déchirure. Des familles comme la nôtre, il en existe partout en France. Elles portent cette mémoire comme elles peuvent, en attendant comme nous, comme celle de Stéphanie, de pouvoir se rassembler. Dans l’intervalle, c’est vous, qui par votre présence, entretenez cette mémoire. Ce sont les institutions, les mairies, les associations, qui s’investissent pour que ces sacrifices ne soient pas oubliés. Alors parler aujourd’hui, je n’y tenais pas ; mais il est temps pour notre famille de redonner à Jacques sa place parmi nous et de partager cela avec vous. Notre silence n’a que trop duré. |